Magazine
December 12, 2019

Faire de la promotion en favorisant l’appropriation

Votre vision de la promotion immobilière porte une ambition écologique élevée. Quel doit être le rôle du promoteur qui se met au service de cette ambition ?

P. J. : Dans notre parcours de promoteur, nous avons longtemps pensé devoir se positionner en tant que programmiste. Mais aujourd’hui, on en est revenu. Pour faire des projets dans une véritable logique ascendante (bottom-up), il faut laisser de la place aux acteurs qui font. Notre rôle est celui d’activateur d’écosystèmes. Bien sûr, on garde une compétence de donneur d’ordre car nous réalisons l’opération financière en tant que promoteur, mais nous ne définissons pas la programmation.

La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manœuvre.

Si vous ne vous impliquez pas dans la programmation, qui s’en charge ? 

P. J. : A partir du moment où on laisse beaucoup de liberté dans le programme, des porteurs de projets s’en saisissent. C’est particulièrement vrai dans l’urbanisme transitoire. Des collectifs comme Quatorze ou Yes We Camp peuvent jouer le rôle d’animateurs de lieux. C’est ce que l’on a fait avec eux lorsque l’on a monté le Rev café à Montreuil. La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manoeuvre, de façon à éviter leur épuisement. 

Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives.

Vous réussissez à impliquer les collectifs dans un rôle de programmistes. Mais comment activer les communautés d’habitants en accession à la propriété ?

P. J. : Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives. Par exemple, dans notre opération d’habitat “Le Bourg” à Montreuil, nous avons mis en place un programme pédagogique d’écologie urbaine. Avec le collectif Coloco, nous avons animé une série d’ateliers participatifs d’appropriation des espaces communs, notamment les 500m2 de jardins. Depuis, il y a une vraie communauté d’habitants. Ces temps d’appropriation par les habitants sont nécessaires et ils prennent du temps. Il faut compter entre 4 ou 6 ateliers pour que la dynamique prenne.

La transition écologique s’opère aux niveaux environnemental et social.

Ces temps collectifs semblent en rupture avec des logiques d’accession immobilière plutôt individualistes. Est-ce que c’est justement en changeant son rapport à l’autre, à la nature et à son environnement que ces ateliers s’inscrivent dans une écologie de l’habitat ? 

P. J. : En effet, la transition écologique s’opère à ces deux niveaux selon moi, ce que montre très bien l’exemple des jardins partagés. Ils recréent un lien avec la nature : les enfants comprennent qu’une salade, ça met trois semaines à pousser. En même temps, ils favorisent le lien social : ils dynamisent des logiques de voisinage qui manquent dans des grandes villes comme Paris. 

Est-ce que cette vision écologique de l’habitat est partagée par les habitants ? Comment la stimuler ?

P. J. : Si les gens achètent un logement en bois, issu de circuits courts et avec une opération de replantation en parallèle, c’est qu’ils sont déjà engagés dans une démarche de transition. L’achat même d’un logement bas carbone est un moment de transition. Nous avons donc les ingrédients pour accompagner et encourager ce mouvement. Il suffit de jouer sur cette fibre déjà présente chez les futurs habitants. D’ailleurs, eux-mêmes nous demandent comment faire pour aller plus loin dans leur action écologique (faire un compost ou récupérer ses eaux usées par exemple). 

Vous faites de la promotion immobilière, vous devez assurer un modèle économique… Comment concilier cette exigence avec votre ambition écologique ?

P. J. : Dans nos montages financiers, on cherche à valoriser autant que possible les valeurs d’usage et les communs. Mais on joue avec les banques traditionnelles : on doit toujours faire preuve de réalisme et de pragmatisme. On essaie d’amener les structures qui portent des projets solidaires et engagés dans la transition environnementale à faire un pas dans la direction des acteurs classiques. Inversement, on essaie de s’éloigner du modèle capitaliste de la promotion, en raisonnant autrement qu’en taux de marge

Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle.

Votre approche de la promotion est alternative…

P. J. : Je ne suis pas complètement satisfait par ce terme. Être “alternatif”, ça veut dire accepter d’être à la marge. Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle. A notre niveau, on essaie de faire bouger le modèle de la promotion. Faire de la pédagogie sur l’écologie, ce n’est pas habituel pour un promoteur, mais on défend cette approche sociétale de l’investissement immobilier. Plus généralement, on s’interroge sur la façon de faire la ville et sur les rapports entre les métropoles et les territoires ruraux. On veut rapprocher la promotion des gens et des territoires, pour une véritable écologie de l’habitat.


___

Paul Jarquin est le fondateur et directeur de R.E.I Habitat, une société qui fait de la promotion immobilière en misant sur les constructions en bois, le réemploi et les circuits courts. Il interviendra lors du petit-déjeuner “Comment habiter autrement pour vivre durablement ?” organisé au MAIF Start-up Club le 14 novembre


Les propos transcrits dans cet article ont été extraits d’un entretien réalisé dans le cadre de l’embarcadère Habiter Ensemble les nouveaux quartiers, publié en Février 2019 par le Lab Ouishare x Chronos.


Faire de la promotion en favorisant l’appropriation

by 
Tanamiranga Ralaindimby
Magazine
November 12, 2019
Faire de la promotion en favorisant l’appropriation
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ENTRETIEN avec Paul Jarquin. Et si dans la promotion, l’appropriation par et pour les habitants de leur habitat constituait la clé de voûte de la transition écologique ? Des formes de promotion immobilière alternatives émergent et explorent ces possibles, en misant sur des modèles économiques hybrides, le temps long, la non programmation et la participation active des (futurs) habitants. Et dessinent une écologie de l'habitat.

Votre vision de la promotion immobilière porte une ambition écologique élevée. Quel doit être le rôle du promoteur qui se met au service de cette ambition ?

P. J. : Dans notre parcours de promoteur, nous avons longtemps pensé devoir se positionner en tant que programmiste. Mais aujourd’hui, on en est revenu. Pour faire des projets dans une véritable logique ascendante (bottom-up), il faut laisser de la place aux acteurs qui font. Notre rôle est celui d’activateur d’écosystèmes. Bien sûr, on garde une compétence de donneur d’ordre car nous réalisons l’opération financière en tant que promoteur, mais nous ne définissons pas la programmation.

La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manœuvre.

Si vous ne vous impliquez pas dans la programmation, qui s’en charge ? 

P. J. : A partir du moment où on laisse beaucoup de liberté dans le programme, des porteurs de projets s’en saisissent. C’est particulièrement vrai dans l’urbanisme transitoire. Des collectifs comme Quatorze ou Yes We Camp peuvent jouer le rôle d’animateurs de lieux. C’est ce que l’on a fait avec eux lorsque l’on a monté le Rev café à Montreuil. La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manoeuvre, de façon à éviter leur épuisement. 

Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives.

Vous réussissez à impliquer les collectifs dans un rôle de programmistes. Mais comment activer les communautés d’habitants en accession à la propriété ?

P. J. : Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives. Par exemple, dans notre opération d’habitat “Le Bourg” à Montreuil, nous avons mis en place un programme pédagogique d’écologie urbaine. Avec le collectif Coloco, nous avons animé une série d’ateliers participatifs d’appropriation des espaces communs, notamment les 500m2 de jardins. Depuis, il y a une vraie communauté d’habitants. Ces temps d’appropriation par les habitants sont nécessaires et ils prennent du temps. Il faut compter entre 4 ou 6 ateliers pour que la dynamique prenne.

La transition écologique s’opère aux niveaux environnemental et social.

Ces temps collectifs semblent en rupture avec des logiques d’accession immobilière plutôt individualistes. Est-ce que c’est justement en changeant son rapport à l’autre, à la nature et à son environnement que ces ateliers s’inscrivent dans une écologie de l’habitat ? 

P. J. : En effet, la transition écologique s’opère à ces deux niveaux selon moi, ce que montre très bien l’exemple des jardins partagés. Ils recréent un lien avec la nature : les enfants comprennent qu’une salade, ça met trois semaines à pousser. En même temps, ils favorisent le lien social : ils dynamisent des logiques de voisinage qui manquent dans des grandes villes comme Paris. 

Est-ce que cette vision écologique de l’habitat est partagée par les habitants ? Comment la stimuler ?

P. J. : Si les gens achètent un logement en bois, issu de circuits courts et avec une opération de replantation en parallèle, c’est qu’ils sont déjà engagés dans une démarche de transition. L’achat même d’un logement bas carbone est un moment de transition. Nous avons donc les ingrédients pour accompagner et encourager ce mouvement. Il suffit de jouer sur cette fibre déjà présente chez les futurs habitants. D’ailleurs, eux-mêmes nous demandent comment faire pour aller plus loin dans leur action écologique (faire un compost ou récupérer ses eaux usées par exemple). 

Vous faites de la promotion immobilière, vous devez assurer un modèle économique… Comment concilier cette exigence avec votre ambition écologique ?

P. J. : Dans nos montages financiers, on cherche à valoriser autant que possible les valeurs d’usage et les communs. Mais on joue avec les banques traditionnelles : on doit toujours faire preuve de réalisme et de pragmatisme. On essaie d’amener les structures qui portent des projets solidaires et engagés dans la transition environnementale à faire un pas dans la direction des acteurs classiques. Inversement, on essaie de s’éloigner du modèle capitaliste de la promotion, en raisonnant autrement qu’en taux de marge

Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle.

Votre approche de la promotion est alternative…

P. J. : Je ne suis pas complètement satisfait par ce terme. Être “alternatif”, ça veut dire accepter d’être à la marge. Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle. A notre niveau, on essaie de faire bouger le modèle de la promotion. Faire de la pédagogie sur l’écologie, ce n’est pas habituel pour un promoteur, mais on défend cette approche sociétale de l’investissement immobilier. Plus généralement, on s’interroge sur la façon de faire la ville et sur les rapports entre les métropoles et les territoires ruraux. On veut rapprocher la promotion des gens et des territoires, pour une véritable écologie de l’habitat.


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Paul Jarquin est le fondateur et directeur de R.E.I Habitat, une société qui fait de la promotion immobilière en misant sur les constructions en bois, le réemploi et les circuits courts. Il interviendra lors du petit-déjeuner “Comment habiter autrement pour vivre durablement ?” organisé au MAIF Start-up Club le 14 novembre


Les propos transcrits dans cet article ont été extraits d’un entretien réalisé dans le cadre de l’embarcadère Habiter Ensemble les nouveaux quartiers, publié en Février 2019 par le Lab Ouishare x Chronos.


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Tanamiranga Ralaindimby
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November 12, 2019

Faire de la promotion en favorisant l’appropriation

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Tanamiranga Ralaindimby
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ENTRETIEN avec Paul Jarquin. Et si dans la promotion, l’appropriation par et pour les habitants de leur habitat constituait la clé de voûte de la transition écologique ? Des formes de promotion immobilière alternatives émergent et explorent ces possibles, en misant sur des modèles économiques hybrides, le temps long, la non programmation et la participation active des (futurs) habitants. Et dessinent une écologie de l'habitat.

Votre vision de la promotion immobilière porte une ambition écologique élevée. Quel doit être le rôle du promoteur qui se met au service de cette ambition ?

P. J. : Dans notre parcours de promoteur, nous avons longtemps pensé devoir se positionner en tant que programmiste. Mais aujourd’hui, on en est revenu. Pour faire des projets dans une véritable logique ascendante (bottom-up), il faut laisser de la place aux acteurs qui font. Notre rôle est celui d’activateur d’écosystèmes. Bien sûr, on garde une compétence de donneur d’ordre car nous réalisons l’opération financière en tant que promoteur, mais nous ne définissons pas la programmation.

La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manœuvre.

Si vous ne vous impliquez pas dans la programmation, qui s’en charge ? 

P. J. : A partir du moment où on laisse beaucoup de liberté dans le programme, des porteurs de projets s’en saisissent. C’est particulièrement vrai dans l’urbanisme transitoire. Des collectifs comme Quatorze ou Yes We Camp peuvent jouer le rôle d’animateurs de lieux. C’est ce que l’on a fait avec eux lorsque l’on a monté le Rev café à Montreuil. La clé, c’est d’engager des porteurs de projets sur le long terme et de leur laisser une importante marge de manoeuvre, de façon à éviter leur épuisement. 

Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives.

Vous réussissez à impliquer les collectifs dans un rôle de programmistes. Mais comment activer les communautés d’habitants en accession à la propriété ?

P. J. : Pour mobiliser les habitants, il faut faciliter les dynamiques collectives. Par exemple, dans notre opération d’habitat “Le Bourg” à Montreuil, nous avons mis en place un programme pédagogique d’écologie urbaine. Avec le collectif Coloco, nous avons animé une série d’ateliers participatifs d’appropriation des espaces communs, notamment les 500m2 de jardins. Depuis, il y a une vraie communauté d’habitants. Ces temps d’appropriation par les habitants sont nécessaires et ils prennent du temps. Il faut compter entre 4 ou 6 ateliers pour que la dynamique prenne.

La transition écologique s’opère aux niveaux environnemental et social.

Ces temps collectifs semblent en rupture avec des logiques d’accession immobilière plutôt individualistes. Est-ce que c’est justement en changeant son rapport à l’autre, à la nature et à son environnement que ces ateliers s’inscrivent dans une écologie de l’habitat ? 

P. J. : En effet, la transition écologique s’opère à ces deux niveaux selon moi, ce que montre très bien l’exemple des jardins partagés. Ils recréent un lien avec la nature : les enfants comprennent qu’une salade, ça met trois semaines à pousser. En même temps, ils favorisent le lien social : ils dynamisent des logiques de voisinage qui manquent dans des grandes villes comme Paris. 

Est-ce que cette vision écologique de l’habitat est partagée par les habitants ? Comment la stimuler ?

P. J. : Si les gens achètent un logement en bois, issu de circuits courts et avec une opération de replantation en parallèle, c’est qu’ils sont déjà engagés dans une démarche de transition. L’achat même d’un logement bas carbone est un moment de transition. Nous avons donc les ingrédients pour accompagner et encourager ce mouvement. Il suffit de jouer sur cette fibre déjà présente chez les futurs habitants. D’ailleurs, eux-mêmes nous demandent comment faire pour aller plus loin dans leur action écologique (faire un compost ou récupérer ses eaux usées par exemple). 

Vous faites de la promotion immobilière, vous devez assurer un modèle économique… Comment concilier cette exigence avec votre ambition écologique ?

P. J. : Dans nos montages financiers, on cherche à valoriser autant que possible les valeurs d’usage et les communs. Mais on joue avec les banques traditionnelles : on doit toujours faire preuve de réalisme et de pragmatisme. On essaie d’amener les structures qui portent des projets solidaires et engagés dans la transition environnementale à faire un pas dans la direction des acteurs classiques. Inversement, on essaie de s’éloigner du modèle capitaliste de la promotion, en raisonnant autrement qu’en taux de marge

Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle.

Votre approche de la promotion est alternative…

P. J. : Je ne suis pas complètement satisfait par ce terme. Être “alternatif”, ça veut dire accepter d’être à la marge. Aujourd’hui, l’ « alternatif » doit devenir dominant ; il faut proposer des solutions de moyenne ou grande échelle. A notre niveau, on essaie de faire bouger le modèle de la promotion. Faire de la pédagogie sur l’écologie, ce n’est pas habituel pour un promoteur, mais on défend cette approche sociétale de l’investissement immobilier. Plus généralement, on s’interroge sur la façon de faire la ville et sur les rapports entre les métropoles et les territoires ruraux. On veut rapprocher la promotion des gens et des territoires, pour une véritable écologie de l’habitat.


___

Paul Jarquin est le fondateur et directeur de R.E.I Habitat, une société qui fait de la promotion immobilière en misant sur les constructions en bois, le réemploi et les circuits courts. Il interviendra lors du petit-déjeuner “Comment habiter autrement pour vivre durablement ?” organisé au MAIF Start-up Club le 14 novembre


Les propos transcrits dans cet article ont été extraits d’un entretien réalisé dans le cadre de l’embarcadère Habiter Ensemble les nouveaux quartiers, publié en Février 2019 par le Lab Ouishare x Chronos.


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Tanamiranga Ralaindimby
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