Magazine
February 23, 2023

Pour en finir avec le ski-bashing

Le ski-bashing : un outil rhétorique pour discréditer la parole de ses opposants

Une fois l’accusation de ski-bashing lancée, quelle possibilité reste-t-il d’engager une discussion argumentée ? Aucune. Et c’est bien là le problème. Celles et ceux qui utilisent cette expression cherchent avant tout à éloigner le danger d’une possible discussion sans faire l’effort de répondre à leurs opposants de manière élaborée. Le terme ski-bashing est un outil rhétorique bien rodé. Une mécanique de discrédit que les communistes des années 50 et 60 utilisaient déjà efficacement. Quand une voix critique s’élevait, le communiste répondait selon la même logique : d’où parles-tu camarade ? Une façon d’écarter toute personne souhaitant prendre la parole au nom de la classe ouvrière sans prendre le temps de juger de la pertinence de ses propos. Il en est de même quand l’accusation de ski-bashing est brandie défensivement face aux journalistes, citadins, « gens de la plaine », « écolos » (avec les variantes « écolos-bobos » et « éco-terroristes »), « détracteurs » en tout genre ou « ONG qui nous tapent dessus » (sic).

Le bashing désigne en anglais le fait de frapper violemment ou d'infliger une raclée à quelqu’un. Il y a donc dans ce mot de bashing une véritable violence projetée sur l’interlocuteur - pour mieux dissimuler la sienne ? Violence des idées dont on accuse l’autre afin de le disqualifier en tant que partenaire acceptable de débat. Le mot de ski bashing radicalise la parole critique afin de “l’extrémiser”. Mais est-ce bien sérieux ? Est-il vraiment raisonnable de défendre la posture selon laquelle l’industrie du ski serait victime d’un acharnement militant ?

“Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux…”

Pas de fumée sans feu

Tellement habitués à leur ennemi ancestral, l’écolo, les acteurs des stations de ski n’ont pas vu qu’aujourd’hui celles et ceux qu’ils qualifient « d’extrêmes » en les accusant de ski-bashing sont leurs propres administrés, habitants et électeurs de leurs communes, amoureux de la montagne et même leurs clients ! Or lorsque l’on prend le temps d’écouter ces personnes, on constate qu’ils et elles ont bien conscience des menaces et enjeux qui pèsent sur leurs territoires. Ils et elles connaissent le caractère obsolète et irrationnel des projets de développement actuels ; ils et elles ont bien compris la nécessité de changer de modèle économique, d’en construire un différent, moins saisonnier, moins énergivore et moins mono-activité. 

En réalité, l’accusation de ski-bashing révèle surtout la faiblesse de la position de celui qui l’utilise. Incapable de répondre aux arguments par d’autres arguments, il se retranche dans sa citadelle assiégée et dévalorise la critique avant même qu’elle ne le touche. Une bien illusoire façon de se protéger et de protéger ses propres intérêts. 

Mais ne nous y trompons pas, la transformation est inévitable. Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux… c’est même dommageable d’un point de vue économique, social et environnemental (comme le rappellent des publications officielles - rapport de la Cour des Comptes 2018 - ou des travaux universitaires). Le ski business tel qu’il est organisé aujourd’hui, en tant que reflet d’une économie pétrolière issue des Trente Glorieuses, est condamné à terme. Dire cela n’est pas du ski-bashing, c’est un constat lucide et inconfortable demandant une action à la fois rapide et orientée sur le long terme. C’est un appel à la discussion et à la raison, à porter un regard critique sur la situation, loin des intérêts personnels. Un appel à enclencher les transformations radicales qui doivent aujourd’hui nous préparer aux changements profonds auxquels nous devrons faire face demain. Un appel à discuter de ces sujets collectivement et démocratiquement. Un appel à faire le deuil de certaines rentes, habitudes, ou organisations. 

Alors à ceux qui utilisent l’expression ski-bashing : cessez de vous cacher derrière vos bâtons de ski et de tenir à distance vos contradicteurs. Comme vous, ils sont inquiets des forces de changement à l’œuvre et sont prêts à discuter pour inventer de nouveaux modèles économiques permettant de préserver la montagne et d’y vivre dignement. 

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Clothilde Sauvages, entrepreneuse, directrice de missions de transition écologique. Rédactrice pour le Ouishare Magazine et alumni du collectif.

Guillaume Desmurs, journaliste, écrivain, éditeur, spécialiste de la montagne (dernier ouvrage : « Une histoire des stations de sports d’hiver », éditions Glénat) et co-fondateur du think tank LaMA Project..

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Sur le même sujet :

> Entretien avec Olivier Erard : Du deuil à l'émergence. L'exemple de Métabief, première station à avoir acté la fin du ski

> Entretien avec Guillaume Desmurs : Industrie du ski alpin, il est temps de refermer la parenthèse

Pour en finir avec le ski-bashing

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Clothilde Sauvages et Guillaume Desmurs
Magazine
February 13, 2023
Pour en finir avec le ski-bashing
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Le #skibashing est l’un des arguments préférés invoqués par les acteurs du ski pour contrer toute remise en question. Une formule magique pour discréditer l’argument. Mais devant l’urgente nécessité d’enclencher la transformation des modèles économiques des stations de ski, accuser son interlocuteur de ski bashing apparaît surtout comme un symptôme de déni.

Le ski-bashing : un outil rhétorique pour discréditer la parole de ses opposants

Une fois l’accusation de ski-bashing lancée, quelle possibilité reste-t-il d’engager une discussion argumentée ? Aucune. Et c’est bien là le problème. Celles et ceux qui utilisent cette expression cherchent avant tout à éloigner le danger d’une possible discussion sans faire l’effort de répondre à leurs opposants de manière élaborée. Le terme ski-bashing est un outil rhétorique bien rodé. Une mécanique de discrédit que les communistes des années 50 et 60 utilisaient déjà efficacement. Quand une voix critique s’élevait, le communiste répondait selon la même logique : d’où parles-tu camarade ? Une façon d’écarter toute personne souhaitant prendre la parole au nom de la classe ouvrière sans prendre le temps de juger de la pertinence de ses propos. Il en est de même quand l’accusation de ski-bashing est brandie défensivement face aux journalistes, citadins, « gens de la plaine », « écolos » (avec les variantes « écolos-bobos » et « éco-terroristes »), « détracteurs » en tout genre ou « ONG qui nous tapent dessus » (sic).

Le bashing désigne en anglais le fait de frapper violemment ou d'infliger une raclée à quelqu’un. Il y a donc dans ce mot de bashing une véritable violence projetée sur l’interlocuteur - pour mieux dissimuler la sienne ? Violence des idées dont on accuse l’autre afin de le disqualifier en tant que partenaire acceptable de débat. Le mot de ski bashing radicalise la parole critique afin de “l’extrémiser”. Mais est-ce bien sérieux ? Est-il vraiment raisonnable de défendre la posture selon laquelle l’industrie du ski serait victime d’un acharnement militant ?

“Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux…”

Pas de fumée sans feu

Tellement habitués à leur ennemi ancestral, l’écolo, les acteurs des stations de ski n’ont pas vu qu’aujourd’hui celles et ceux qu’ils qualifient « d’extrêmes » en les accusant de ski-bashing sont leurs propres administrés, habitants et électeurs de leurs communes, amoureux de la montagne et même leurs clients ! Or lorsque l’on prend le temps d’écouter ces personnes, on constate qu’ils et elles ont bien conscience des menaces et enjeux qui pèsent sur leurs territoires. Ils et elles connaissent le caractère obsolète et irrationnel des projets de développement actuels ; ils et elles ont bien compris la nécessité de changer de modèle économique, d’en construire un différent, moins saisonnier, moins énergivore et moins mono-activité. 

En réalité, l’accusation de ski-bashing révèle surtout la faiblesse de la position de celui qui l’utilise. Incapable de répondre aux arguments par d’autres arguments, il se retranche dans sa citadelle assiégée et dévalorise la critique avant même qu’elle ne le touche. Une bien illusoire façon de se protéger et de protéger ses propres intérêts. 

Mais ne nous y trompons pas, la transformation est inévitable. Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux… c’est même dommageable d’un point de vue économique, social et environnemental (comme le rappellent des publications officielles - rapport de la Cour des Comptes 2018 - ou des travaux universitaires). Le ski business tel qu’il est organisé aujourd’hui, en tant que reflet d’une économie pétrolière issue des Trente Glorieuses, est condamné à terme. Dire cela n’est pas du ski-bashing, c’est un constat lucide et inconfortable demandant une action à la fois rapide et orientée sur le long terme. C’est un appel à la discussion et à la raison, à porter un regard critique sur la situation, loin des intérêts personnels. Un appel à enclencher les transformations radicales qui doivent aujourd’hui nous préparer aux changements profonds auxquels nous devrons faire face demain. Un appel à discuter de ces sujets collectivement et démocratiquement. Un appel à faire le deuil de certaines rentes, habitudes, ou organisations. 

Alors à ceux qui utilisent l’expression ski-bashing : cessez de vous cacher derrière vos bâtons de ski et de tenir à distance vos contradicteurs. Comme vous, ils sont inquiets des forces de changement à l’œuvre et sont prêts à discuter pour inventer de nouveaux modèles économiques permettant de préserver la montagne et d’y vivre dignement. 

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Clothilde Sauvages, entrepreneuse, directrice de missions de transition écologique. Rédactrice pour le Ouishare Magazine et alumni du collectif.

Guillaume Desmurs, journaliste, écrivain, éditeur, spécialiste de la montagne (dernier ouvrage : « Une histoire des stations de sports d’hiver », éditions Glénat) et co-fondateur du think tank LaMA Project..

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Sur le même sujet :

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> Entretien avec Guillaume Desmurs : Industrie du ski alpin, il est temps de refermer la parenthèse

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Clothilde Sauvages et Guillaume Desmurs
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Le #skibashing est l’un des arguments préférés invoqués par les acteurs du ski pour contrer toute remise en question. Une formule magique pour discréditer l’argument. Mais devant l’urgente nécessité d’enclencher la transformation des modèles économiques des stations de ski, accuser son interlocuteur de ski bashing apparaît surtout comme un symptôme de déni.

Le ski-bashing : un outil rhétorique pour discréditer la parole de ses opposants

Une fois l’accusation de ski-bashing lancée, quelle possibilité reste-t-il d’engager une discussion argumentée ? Aucune. Et c’est bien là le problème. Celles et ceux qui utilisent cette expression cherchent avant tout à éloigner le danger d’une possible discussion sans faire l’effort de répondre à leurs opposants de manière élaborée. Le terme ski-bashing est un outil rhétorique bien rodé. Une mécanique de discrédit que les communistes des années 50 et 60 utilisaient déjà efficacement. Quand une voix critique s’élevait, le communiste répondait selon la même logique : d’où parles-tu camarade ? Une façon d’écarter toute personne souhaitant prendre la parole au nom de la classe ouvrière sans prendre le temps de juger de la pertinence de ses propos. Il en est de même quand l’accusation de ski-bashing est brandie défensivement face aux journalistes, citadins, « gens de la plaine », « écolos » (avec les variantes « écolos-bobos » et « éco-terroristes »), « détracteurs » en tout genre ou « ONG qui nous tapent dessus » (sic).

Le bashing désigne en anglais le fait de frapper violemment ou d'infliger une raclée à quelqu’un. Il y a donc dans ce mot de bashing une véritable violence projetée sur l’interlocuteur - pour mieux dissimuler la sienne ? Violence des idées dont on accuse l’autre afin de le disqualifier en tant que partenaire acceptable de débat. Le mot de ski bashing radicalise la parole critique afin de “l’extrémiser”. Mais est-ce bien sérieux ? Est-il vraiment raisonnable de défendre la posture selon laquelle l’industrie du ski serait victime d’un acharnement militant ?

“Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux…”

Pas de fumée sans feu

Tellement habitués à leur ennemi ancestral, l’écolo, les acteurs des stations de ski n’ont pas vu qu’aujourd’hui celles et ceux qu’ils qualifient « d’extrêmes » en les accusant de ski-bashing sont leurs propres administrés, habitants et électeurs de leurs communes, amoureux de la montagne et même leurs clients ! Or lorsque l’on prend le temps d’écouter ces personnes, on constate qu’ils et elles ont bien conscience des menaces et enjeux qui pèsent sur leurs territoires. Ils et elles connaissent le caractère obsolète et irrationnel des projets de développement actuels ; ils et elles ont bien compris la nécessité de changer de modèle économique, d’en construire un différent, moins saisonnier, moins énergivore et moins mono-activité. 

En réalité, l’accusation de ski-bashing révèle surtout la faiblesse de la position de celui qui l’utilise. Incapable de répondre aux arguments par d’autres arguments, il se retranche dans sa citadelle assiégée et dévalorise la critique avant même qu’elle ne le touche. Une bien illusoire façon de se protéger et de protéger ses propres intérêts. 

Mais ne nous y trompons pas, la transformation est inévitable. Continuer comme aujourd’hui (moyennant quelques aménagements à la marge comme les dameuses à hydrogène ou des panneaux solaires) n’est pas à la hauteur des enjeux… c’est même dommageable d’un point de vue économique, social et environnemental (comme le rappellent des publications officielles - rapport de la Cour des Comptes 2018 - ou des travaux universitaires). Le ski business tel qu’il est organisé aujourd’hui, en tant que reflet d’une économie pétrolière issue des Trente Glorieuses, est condamné à terme. Dire cela n’est pas du ski-bashing, c’est un constat lucide et inconfortable demandant une action à la fois rapide et orientée sur le long terme. C’est un appel à la discussion et à la raison, à porter un regard critique sur la situation, loin des intérêts personnels. Un appel à enclencher les transformations radicales qui doivent aujourd’hui nous préparer aux changements profonds auxquels nous devrons faire face demain. Un appel à discuter de ces sujets collectivement et démocratiquement. Un appel à faire le deuil de certaines rentes, habitudes, ou organisations. 

Alors à ceux qui utilisent l’expression ski-bashing : cessez de vous cacher derrière vos bâtons de ski et de tenir à distance vos contradicteurs. Comme vous, ils sont inquiets des forces de changement à l’œuvre et sont prêts à discuter pour inventer de nouveaux modèles économiques permettant de préserver la montagne et d’y vivre dignement. 

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Clothilde Sauvages, entrepreneuse, directrice de missions de transition écologique. Rédactrice pour le Ouishare Magazine et alumni du collectif.

Guillaume Desmurs, journaliste, écrivain, éditeur, spécialiste de la montagne (dernier ouvrage : « Une histoire des stations de sports d’hiver », éditions Glénat) et co-fondateur du think tank LaMA Project..

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