Cet article a été originellement publié sur WamdaComme la majorité des pays du Maghreb et du Moyen-Orient, le Maroc pâtit d’un manque historique de mixité sociale, souvent cristallisé dans la pratique de la langue. Et s’il existait une autre voie ?
Comme dans bon nombre d'autres pays, notamment du Maghreb et du Moyen-Orient, le partage et la collaboration ne sont pas des réflexes naturels pour les entrepreneurs marocains. Je suis convaincue que nous gagnerions beaucoup à faire évoluer cette culture vers davantage d'ouverture. Marocaine vivant en France, j’ai entrepris depuis quelques mois d’aller à la rencontre de la scène entrepreneuriale et collaborative marocaine pour y lancer la communauté OuiShare et contribuer au développement d'une économie collaborative locale et connectée avec le reste du monde. A cette occasion, j’ai pu me convaincre que si les entrepreneurs travaillaient main dans la main avec les communautés locales de hackers et de makers, les startups marocaines y gagneraient très probablement, tant sur le plan de la créativité que de la mixité sociale.
Culture de la méfiance chez les entrepreneurs
Découvrir la communauté entrepreneuriale marocaine fut une expérience très positive. J’ai échangé avec des passionnés, découvert des personnes engagées et dynamiques, bref, j'en suis ressortie emballée. Mais malgré l’émulation collective et les initiatives nombreuses et durables, le mouvement peine à prendre de l’ampleur. Tous les entrepreneurs avec lesquels j’ai échangés, qu'ils viennent du Maroc, du Kenya ou encore d'Egypte, déplorent le manque de soutien et d'échanges réciproques avec leur pairs. La rétention d’information est monnaie courante. Les entrepreneurs ne voient leurs confrères que comme des concurrents potentiels. Bien sûr, cette inquiétude correspond parfois à une réalité (le monde du business dans les pays émergents n’est pas tout rose !), mais elle est la plupart du temps injustifiée. La collaboration et le partage de bonnes pratiques créent plus de valeur qu’ils n’en détruisent. Il est toujours utile de bénéficier de l’expertise des autres et d'apprendre de leurs erreurs de façon à ne pas les répéter.
Principe de collaboration chez les hackers et makers
A l’inverse, les communauté de hackers et de makers sont pénétrées par les logiques de collaboration et de partage. Elles sont avant tout guidées par la philosophie du Do it Yourself, l'esprit de débrouillardise et une confiance profonde en la capacité de tout un chacun à construire et déconstruire son environnement. Chez elles, les connaissances et les savoirs sont en accès libre par défaut. Les collectifs comme les Moroccan Gamers ou les Moroccan Makers, particulièrement actifs, prennent un plaisir manifeste à échanger et partager leur réflexions, passions, et réalisations respectives. L’appartenance à ces groupes est liée à l’action avant tout. Les membres sont des « do-ers » qui sont reconnus par la communauté pour ce qu’ils font (programmes, codes, objets), et non pas ce qu’ils prétendent faire.
Deux mondes profondément différents
C'est bien connu : au Maghreb, les classes supérieures sont très attachées à la langue française, qu'elles ont généralement apprise très tôt sur les bancs de l’école française avant de poursuivre leurs études supérieures à l’étranger. Elles ne se mélangent que très rarement avec les classes moyennes qui ont étudié au Maroc et s'expriment plus volontiers en arabe. Au risque de tomber dans les clichés, je n'ai pas pu m'empêcher de notre que les entrepreneurs sont en général issus d’une classe sociale plus aisée et se sont inspirés de ce qu’ils ont vu en Europe ou aux Etats-Unis pour monter leur projet. Cela qui n'a à vrai dire rien de surprenant étant donné le peu de sensibilisation à la question de l’entrepreneuriat dans le secteur académique au Maroc. Du côté des groupes de hackers/makers, on trouve au contraire des gens qui manient moins bien la langue française mais maîtrisent bien mieux l’anglais, la langue du Web, et savent coder et développer. Ces deux groupes ne se côtoient que très rarement. Il est malheureusement difficile d’imaginer la fille des beaux quartiers de Casablanca ou Rabat qui a lancé sa startup de produits de beauté bio traîner avec un garçon d'un milieu modeste qui programme des jeux vidéo. Et pourtant ces deux mondes ont beaucoup à apprendre l'un de l'autre.
La rencontre des deux mondes
L’économie collaborative, l’entrepreneuriat social et le développement des tiers lieux permet justement de répondre à ce problème. Mus par une passion commune, l’innovation digitale, les deux mondes sont appelés à se croiser de plus en plus fréquemment. Les entrepreneurs comprennent petit à petit qu’ils ont intérêt à sortir de la logique de défiance, à avancer ensemble, à partager leur savoir avec le reste de la communauté, tandis que les hackers avancent sur le terrain des savoir-faire business et marketing. L’émergence de nouveaux espaces de coworking comme le New Work Lab, à Casablanca, ou d'incubateurs comme House of Geeks à Agadir, ou encore d'événements ponctuels comme le Summer Lab, favorise l’enrichissement mutuel tant par le transfert de compétences que par la mixité sociale. Avec l’économie collaborative, c'est un vent nouveau qui souffle sur le Maroc, de ceux qui manquaient jusqu'alors au pays pour aller de l'avant. Crédit photo : Summer Lab