La mention "activiste", avec ou sans "e" à la fin selon le niveau d'anglicisation et du terrain de jeu de celui ou celle qui l'emploie, avait fait une apparition à peine remarquée dans les profils Linkedin il y a quelques années. Le temps passant, elle a fait des petits.
Le terme est souvent accolé à d'autres titres. La plupart du temps : "Entrepreneur, speaker, writer, corporate hacker" ou autres qualités qui associent la nécessité de changer le monde à un modèle de rémunération permettant, à plus court terme, de payer le loyer.
S'il n'est pas question de faire le procès de quiconque, de remettre en doute des convictions personnelles souvent sincères, ni de juger les agissements des uns et des autres à l'ombre de notre ignorance, la question mérite quand même d'être posée : l'activisme est-il devenu une compétence professionnelle comme une autre ?
Avec l'émergence des entreprises à mission et l'injonction de la société à une plus grande exemplarité de la part des organisations de toute taille, on pourrait être tenté de penser que oui. La RSE devenant peu à peu un avantage concurrentiel à part entière, à l'ère naissante d'un capitalisme éveillé, pour toute marque un peu consciente de l'époque, se doter d'un Chief Activism Officer, ou à minima s'entourer de profils résolument engagés dans des causes majeures, respecterait une certaine logique enclenchée depuis vingt ans par le lot de transformations “digitale”, “managériale”, “collaborative”, et désormais “écologique” des entreprises. Si la planète et le marché l'exigent, pourquoi donc se priver de leur donner ce qu'ils attendent. Il existe des experts pour cela. Et ces experts sont sur Linkedin.
Les mots ont un sens et on ne devient pas Olympe de Gouges ni Jean Moulin en courant les manifs après avoir siphonné les budgets RSE du CAC grâce à un compte Tik Tok.
Évidemment, cela laisse un peu songeur. Une des grandes forces du néo libéralisme réside dans sa formidable capacité à tendre la main à ses détracteurs pour ingérer, digérer, et au bout du compte, marketer la chair de leurs révoltes. Des luttes contre les discriminations raciales de Malcolm X à Wakanda for Ever par le studio Disney Marvel, avouons que les Black Panthers ont quand même pris un méchant plomb dans la mâchoire. Et que penser de cette chaîne de hamburgers qui porte le nom de Rosa Parks ? Bel hommage.
Alors l'activisme moderne est-il condamné à la récupération ? Tout dépend de quoi on parle. Intervenir en entreprise pour avoir de l'impact et initier le changement de l'intérieur est une chose nécessaire, louable, et peut-être même utile. Les transitions auxquelles nous sommes des millions à aspirer passent inévitablement par à une révolution de nos modes de travail et de production. Mais les mots ont un sens et on ne devient pas Olympe de Gouges ni Jean Moulin en courant les manifs après avoir siphonné les budgets RSE du CAC grâce à un compte Tik Tok. La différence est maigre entre un militant, un partisan, un révolutionnaire, un activiste, un résistant. Mais elle existe : certains sont prêts à risquer leur vie pour leurs idées, d'autres moins. Et personne ne le leur reprochera.
A notre bon vieux Robert national d'apporter sa lanterne sur l'expression qui nous courrouce avec une définition laconique qui permet de conclure un débat qui n'avait jamais vraiment commencé : l'activisme est une "attitude politique qui favorise l'action directe, voire violente, et la propagande active." Comme l'explique Blondin au pauvre Tuco mordant la poussière sous le soleil harassant de Sad Hill, "le monde se divise en deux catégories. Ceux qui font des posts sur les réseaux sociaux en disant qu'ils changent le monde, et ceux qui creusent. Toi tu creuses"
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Marc-Arthur Gauthey est membre de Ouishare.
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