Après le raz de marée du covoiturage, l'arrivée imminente des véhicules autonomes fascine penseurs et entrepreneurs. Aujourd'hui, la mobilité du futur est sur toutes les lèvres. Roland Barthes y verrait à coup sûr l'avènement d'un nouveau mythe. Afin d'y voir plus clair, voici un éclairage de Robin Chase, co-fondatrice de Zipcar et auteure de Peers Inc: How People and Platforms are Inventing the Collaborative Economy and Reinventing Capitalism. Aujourd'hui, 75% des voitures en circulation sont occupées par une seule personne, le conducteur. Le covoiturage vise à remplir ces véhicules. Dans votre scénario catastrophe, vous affirmez que 50% des véhicules en circulation pourraient être vides. Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion?
Robin Chase. Si nous laissons les véhicules autonomes (VA) se déplacer avec les mêmes règles et incitations qu'aujourd'hui, nous allons droit dans le mur! Lorsqu'une personne envisage de prendre une voiture, elle prend seulement en compte le coût du carburant et de l'effort nécessaire pour se garer. Elle sous-estime l'usure du véhicule, l'assurance et la maintenance. Avec un VA électrique, le coût marginal d'un déplacement avoisinera les deux euros de l'heure et je n'aurais pas à me soucier du temps perdu à conduire. Dès lors, pourquoi devrais-je me garer en ville (ce qui coûte plus de deux euros de l'heure) ou payer pour un parking dans un garage? Il me suffirait d'utiliser mon parking personnel ou de laisser la voiture rouler jusqu'à ce que j'en aie de nouveau besoin. Je n'hésiterais pas à l'envoyer pour une course, même en heure de pointe, puisque je passerais mon temps à faire autre chose. Les VA deviendront nos assistants personnels low cost qui se baladent sans arrêt.
Dans un scénario idéal, vous expliquez que les véhicules du futur seront autonomes et partagés. Seront-ils aussi électriques à votre avis? Quelles sont les étapes concrètes pour réaliser ce scénario?
R.B. Si nous devions nous rapprocher du scénario idéal, non seulement les VA devront être électriques mais l'énergie utilisée devra être renouvelable. Les villes - et même les pays - doivent inciter les VA à utiliser une énergie propre. Chaque consommation supplémentaire d'électricité doit se faire sur la base des énergies renouvelables. [embed]https://www.youtube.com/watch?v=DeUE4kHRpEk[/embed]
Quels sont les impacts les plus significatifs des VA sur la gestion de l'espace et les interactions sociales dans nos villes?
R.B. Tout dépendra de la façon dont nous utilisons les VA. En remplacement pur et simple des voitures individuelles ou comme une flotte partagée? J'appelle cela les VAPE : les véhicules autonomes partagés et électriques! Si nous réussissons à remplacer les véhicules individuels par les VAPE nous aurons besoin de seulement 3 à 10% des véhicules que nous utilisons aujourd'hui en ville. Imaginez, plus de parking ni sur la rue ni dans les garages. Nous aurions des trottoirs et pistes cyclables suffisamment larges avec malgré tout de la place pour les véhicules motorisés. Quartier par quartier, nous pourrons réfléchir à la façon dont nous voulons réorganiser l'espace. Cette rue a besoin d'une école? De commerces? D'espaces verts? De tiers lieux? De logements? Nous avons besoin d'encadrer les critères et règles qui régiront ces transformations pour éviter que les acteurs les plus puissants décident seuls de la gestion de ce nouvel espace disponible. Je pense souvent à ce nouveau monde lorsque je me promène dans les villes. Le e-commerce et l'économie à la demande ravagent les commerces de proximité. Si davantage de trajets courts peuvent être réalisés de manière sûre et active (en marchant ou pédalant), cela soutiendra les petits commerces. Et tout bêtement, plus nous sortons de nos voitures, plus nous avons de chance de croiser des têtes connues et de leur dire bonjour.
Quelle est la position des différentes parties prenantes (collectivités, opérateurs de transport, taxis...) face à ce changement massif? Que leur conseilleriez-vous?
R.B. Pour tout changement, il y a des gagnants et des perdants. Nous devons garder nos yeux rivés sur l'essentiel : des villes durables. Je mets beaucoup de choses dans ce mot "durable". Nous devons rapidement aller vers un transport sans pétrole et les VAPE sont le meilleur moyen d'atteindre cet objectif. Nous devons faire en sorte que nos villes soient agréables à vivre, étant donné que ce sont des espaces plein de ressources, propices à l'innovation. Assurons nous que chacun a un accès aux transports et que nos villes sont adaptées aux piétons et aux vélos. Les collectivités doivent prendre ce changement à bras le corps. Il contient tellement d'opportunités pour améliorer la qualité des villes et la vie des habitants qui y résident. Pour les opérateurs de transport, public comme privé, il s'agit d'une crise existentielle. Les conducteurs de taxis, bus et autres navettes vont perdre leur emploi. Nous aurons une lutte acharnée mais la transition vers les VA sera le résultat final. A travers le monde, 1,2 millions de personnes meurent d'accidents de la route. Quand les réseaux d'eau et d'assainissement ont vu le jour à Paris, 20 000 porteurs d'eau ont perdu leur emploi dans la ville. Si je travaillais dans le secteur du transport, je m'attacherais à chercher un nouveau job et/ou à diversifier mes sources de revenus (peut être avec l'économie collaborative!). En attendant que le gouvernement puisse proposer des solutions novatrices.Justement, vous faites un lien direct entre la montée en puissance des VA et la nécessité d'expérimenter le revenu universel. Pourquoi? R.B. Les VA constituent une automatisation massive et rapide du travail. Je pense que les gouvernements doivent réfléchir à la façon de rendre nos chauffeurs (et autres travailleurs) moins vulnérables. Cela inclut de rendre simple, légal et sans pénalité le fait de travailler une, dix ou 35 heures pour un "employeur" donné qui peut être vous même. A l'heure actuelle, quel que soit votre pays, les taxes sont collectées auprès des employés à plein temps. Désormais, grâce aux technologies numériques, les coûts de transaction sont vraiment faibles. Le futur est déjà là avec l'économie collaborative et nous devons faciliter des portefeuilles d'activités variées avec des flux alternatifs de revenus. Ceci bénéficiera aux chauffeurs actuels qui pourront construire un flux de revenus plus résilient face à l'arrivée des AV. En outre, et j'en viens au revenu universel, l'automatisation de la conduite nous donne une superbe occasion d'expérimenter. Certains jobs disparaîtrons pour ne plus réapparaître. L'automatisation amène des gains de productivité énorme sans travail, et c'est ce qui diffère des précédentes innovations. C'est pour cela que nous avons besoin de nouveaux modes de financement des collectivités et des services publics. Et toujours garder en tête la façon dont nous redistribuons ces gains.
Autonomy tente d'instaurer un dialogue sur la façon dont la mobilité du futur va impacter nos villes. Qu'attendez-vous de ces échanges?
R.B. Si vous avez toutes les parties prenantes dans une pièce, il va y avoir un combat féroce mais nous devons en passer par là. Le futur va-t-il reposer sur les VA individuels ou bien sur les VAPE? Essayez d'imaginer à quel point nos villes seront différentes si vous prenez chaque voiture existante pour la remplacer par un VA. Maintenant, essayez plutôt un scénario où les VA sont électriques et partagés.Pour poursuivre la discussion, venez retrouver Robin Chase au festival Autonomy à Paris du 6 au 8 octobre 2016.Image à la une : Flying Taxi by Rogue-One, street art in Glasgow.