Magazine
April 5, 2019

Paradoxe de la trottinette, les nouvelles mobilités et l’entreprise

Comment peuvent-elles être des opportunités pour les entreprises de réduire leurs coûts ou d'améliorer la qualité de vie de leurs salariés ? Quels sont les obstacles à leurs pratiques et pourquoi sont-elles sources d’inquiétudes ? Grâce aux témoignages de Badr Hjiaj de Klaxit et Jérémie Giniaux-Kats, avocat associé au cabinet Metalaw et expert du numérique et du droit social nous avons tâché d’apporter quelques réponses à ces questions brûlantes lors de notre dernier petit-déjeuner avec le Maif Start-Up Club.

Le paradoxe de la trottinette

Ghislain Delabie, spécialiste de l'innovation dans le secteurs des nouvelles mobilités, a initié les échanges en évoquant l'exemple d'une entreprise avec laquelle il a travaillé.

L'entreprise accueillait à l'occasion de la semaine de la mobilité un événement d'une journée au cours duquel ils souhaitaient proposer des démonstrations ludiques de trottinettes électriques pour les participants et les salariés du site. Impossible néanmoins de mettre cela en place, car la pratique de la trottinette était tout bonnement interdite par le règlement intérieur. Le responsable de site a argumenté que, si un incident arrivait, il pourrait en être tenu responsable voire aller en prison selon la gravité des faits. Devant ces risques, cette démonstration n’a jamais eu lieu que ce soit sur le site ou à ses abords.

Cette anecdote quelque peu cocasse a permis de lancer les débats sur l'adaptation des entreprises à un changement de paradigme en terme de mobilité des salariés.

Covoiturage et voiture de fonction

Fortement encouragée par les pouvoirs publics, la pratique du covoiturage notamment sur le trajet domicile-travail est vu comme une manière de pallier de nombreux problèmes de mobilités au quotidien : congestion, pollution, accessibilité, coût, stationnement, accident. Pourtant, cette pratique rencontre encore de nombreux obstacles. Les potentiels usagers qu'ils soient passagers ou conducteurs sont encore marginaux.

Les entreprises bien que sensibilisées aux bénéfices du covoiturage butent encore sur les aspects techniques et juridiques.

Un de ces obstacles est assez bien illustré par un avantage prisé par les salariés : la voiture de fonction La pratique du covoiturage avec ce type de véhicule est plus complexe qu'avec son véhicule personnel. Comme le rappelle Badr Hjiaj, le covoiturage en France est strictement défini par le code des transports et un des critères fondamentaux est l'absence de profit.

Dans le cas d’un covoiturage avec un véhicule de fonction, la question du partage des frais avec le ou les passagers est remis en question par le fait que le conducteur, lui ne participe finalement pas financièrement aux coûts du trajet ni à ceux de l'entretien du véhicule.

Dans cette configuration, la participation que le conducteur touche alors de la part des passagers ne lui sert pas à financer les frais du trajet et devient un revenu.

Jérémie Giniaux-Kats, complète en rappelant que le covoiturage avec un véhicule de fonction doit faire l'objet d'une autorisation explicite de l'employeur. Dans les faits la plateforme Klaxit permet même de spécifier cette caractéristique (5% des utilisateurs chez Klaxit), mais cela reste déclaratif et il y a un "a priori de confiance". De plus, dans le cadre du RGPD, ils ne sont pas autorisés à transférer cette information à l'employeur. Jérémie Giniaux-Kats ajoute qu’en vertu du principe de loyauté, dans le cadre de la preuve de covoiturage, l'usager doit être préalablement informé de la surveillance des données, d’autant plus quand cela peut lui nuire.

Pourtant, comme le rappelle Ghislain Delabie, on ne peut nier les avantages qu'apportent l’usage des véhicules de fonction au covoiturage et pour les passagers. Il permet d'augmenter le matching de l'offre, d’améliorer la qualité du trajet avec des véhicules souvent bien plus récents et l’aspect psychologique de la responsabilité morale des conducteurs envers les passagers les pousse à être plus prudents.

Si le cas de la voiture de fonction peut sembler un peu technique et marginal, il illustre les difficultés que rencontrent le covoiturage pour se diffuser. Entre les problématiques techniques, les gains financiers limités et la contrainte temps, Badr Hijaj conclut que le covoiturage ne pourra pas de toute façon se développer sans incitation financière.

La future Loi d’Orientation sur les Mobilités

Généralement, les règles internes aux entreprises, mais aussi la fiscalité et le cadre juridique n’encouragent pas les mobilités “vertueuses” ou alternatives. Les salariés plutôt pragmatiques, n’ont pas d’intérêt personnel à refuser un avantage comme la voiture de fonction. L’entreprise, elle, bénéficie d’avantages fiscaux et augmentent son attractivité. La future Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM) actuellement en discussion à l’Assemblée et au Senat et qui succédera à la loi LOTI (Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs) de 1982 , peut-elle faire évoluer ce paradigme ?

Une des évolutions proposée par la LOM est d’élargir, le remboursement Transports ( 50% du prix du forfait au minimum) à l’ensemble du territoire. Celui-ci n’est pour l’instant obligatoire que pour les salariés de la région Ile-de-France. Pour le reste de la France, cet avantage reste optionnel et son application dépend du bon vouloir de l’entreprise. D’après les dernières prises de parole d’Elisabeth Borne, la ministre des transports en charge de la LOM, il y a une volonté d’étendre, dans le cadre du Forfait Mobilité Durable, cette obligation à l’ensemble du territoire.

Le cas du forfait mobilité durable

Le futur Forfait Mobilité Durable a du bon mais ne prend toujours pas en considération la réalité de l’intermodalité et de la multimodalité. Dans certaines conditions, un salarié peut aussi bien demander une prise en charge de son forfait transports que de son abonnement à un service de vélos en libre service. En revanche, le nouveau Forfait ne permettra toujours pas de cumuler la prise en charge du coût des différents modes sur un même trajet. Choix quelque peu invraisemblable devant le public majoritairement francilien du petit déjeuner.

L’utilisation des transports en commun au quotidien reste une pratique très minoritaire à l’échelle de l’ensemble du territoire.

Comme le fait remarquer un membre du public, selon une étude récente de l’Insee seule la région parisienne et le Grand Lyon ont un taux d'utilisation des transports en commun au quotidien supérieur à 20% pour les salariés.

Pourtant, l’intermodalité et la multimodalité font bien partie de l’évolution des pratiques.

Les nouvelles offres de mobilité ont ouvert un champ des possibles, là où avant il n’y avait place que pour la monomodalité.

Aujourd’hui, un salarié pour se rendre sur son lieu de travail peut utiliser plusieurs modes sur un même trajet. Grâce au développement des parcs relais, de nombreux automobilistes effectuent désormais une partie de leur trajet aussi en transports en commun. D’autres cumulent vélos et trains, voire mettent leur vélo dans le train quand d’autres encore peuvent être auto solistes un jour et covoitureurs un autre. Leur mobilité s’adapte dans l’espace et dans le temps.

Encourager les nouvelles mobilités !

C’est aussi faire évoluer le code du travail, l’adapter pour mieux prendre en compte les modes de déplacements et la situation du lieu de travail.

"Il est nécessaire de proposer des avantages pour compenser la perte de confort" suggère Jérémie Giniaux-Kats.

Une défiscalisation des nouvelles mobilités, à l’instar de celle accordée à la pratique automobile, pourraient être un moyen d'inciter les employeurs à pousser leurs salariés vers ces pratiques.

Elles doivent elles aussi sortir du paradigme de la voiture et cela passe par un changement de posture face à la pratique du vélo par leurs salariés. En effet, il y a un côté rassurant pour l'entreprise à ce que ses salariés se déplacent en voiture. Ils y sont moins fragiles qu'en vélo ou à trottinette. Pourtant, il est nécessaire de rappeler que si le vélo a certes une accidentologie plus élevée, des études récentes démontrent que sa pratique régulière permet à terme de réduire le nombre d’arrêts de travail en ayant un impact positif sur la santé et l'état d'esprit des salariés.

Le cas du véhicule électrique

Dans le cas d’une utilisation professionnelle, que ce soit pour un véhicule de fonction ou de service, il se pose la question de la recharge à domicile. Qui finance la borne ? Où peut-elle être installée ? Qui peut l'utiliser ? Dans quelles conditions ? Et c’est là que les choses deviennent vraiment complexes. En échangeant avec une responsable RH présente dans le public, on découvre qu’aujourd’hui que chaque décision doit être prise au cas par cas. Elles dépendent de nombreux facteurs dont l’entreprise n’a aucunement la maîtrise, comme le type de logement (individuel ou collectif), le statut (propriétaire ou locataire), l’organisation du parking, les relations avec le syndicats de copropriété, etc.

Les nouvelles mobilités complexifient le traitement des déplacements domicile-travail. Elles amènent les entreprises et l’État à se poser de nouvelles questions et à changer leur manière de concevoir la mobilité.

Pour conclure, Jeremie Giniaux-Kats rappelle avec justesse que planifier la mobilité, c'est aussi planifier l'immobilité : télétravail, espaces de travail en dehors des murs de l’entreprise…  tout un champ de réflexion que les entreprises doivent investir pour mettre en place une mobilité adaptée au 21ème siècle.

Paradoxe de la trottinette, les nouvelles mobilités et l’entreprise

by 
Julie Braka
Magazine
April 4, 2019
Paradoxe de la trottinette, les nouvelles mobilités et l’entreprise
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Alors qu’une majorité des salariés se rend encore sur son lieu de travail en voiture, comment les nouvelles mobilités peuvent-elles se diffuser et détrôner l’auto-solisme ?

Comment peuvent-elles être des opportunités pour les entreprises de réduire leurs coûts ou d'améliorer la qualité de vie de leurs salariés ? Quels sont les obstacles à leurs pratiques et pourquoi sont-elles sources d’inquiétudes ? Grâce aux témoignages de Badr Hjiaj de Klaxit et Jérémie Giniaux-Kats, avocat associé au cabinet Metalaw et expert du numérique et du droit social nous avons tâché d’apporter quelques réponses à ces questions brûlantes lors de notre dernier petit-déjeuner avec le Maif Start-Up Club.

Le paradoxe de la trottinette

Ghislain Delabie, spécialiste de l'innovation dans le secteurs des nouvelles mobilités, a initié les échanges en évoquant l'exemple d'une entreprise avec laquelle il a travaillé.

L'entreprise accueillait à l'occasion de la semaine de la mobilité un événement d'une journée au cours duquel ils souhaitaient proposer des démonstrations ludiques de trottinettes électriques pour les participants et les salariés du site. Impossible néanmoins de mettre cela en place, car la pratique de la trottinette était tout bonnement interdite par le règlement intérieur. Le responsable de site a argumenté que, si un incident arrivait, il pourrait en être tenu responsable voire aller en prison selon la gravité des faits. Devant ces risques, cette démonstration n’a jamais eu lieu que ce soit sur le site ou à ses abords.

Cette anecdote quelque peu cocasse a permis de lancer les débats sur l'adaptation des entreprises à un changement de paradigme en terme de mobilité des salariés.

Covoiturage et voiture de fonction

Fortement encouragée par les pouvoirs publics, la pratique du covoiturage notamment sur le trajet domicile-travail est vu comme une manière de pallier de nombreux problèmes de mobilités au quotidien : congestion, pollution, accessibilité, coût, stationnement, accident. Pourtant, cette pratique rencontre encore de nombreux obstacles. Les potentiels usagers qu'ils soient passagers ou conducteurs sont encore marginaux.

Les entreprises bien que sensibilisées aux bénéfices du covoiturage butent encore sur les aspects techniques et juridiques.

Un de ces obstacles est assez bien illustré par un avantage prisé par les salariés : la voiture de fonction La pratique du covoiturage avec ce type de véhicule est plus complexe qu'avec son véhicule personnel. Comme le rappelle Badr Hjiaj, le covoiturage en France est strictement défini par le code des transports et un des critères fondamentaux est l'absence de profit.

Dans le cas d’un covoiturage avec un véhicule de fonction, la question du partage des frais avec le ou les passagers est remis en question par le fait que le conducteur, lui ne participe finalement pas financièrement aux coûts du trajet ni à ceux de l'entretien du véhicule.

Dans cette configuration, la participation que le conducteur touche alors de la part des passagers ne lui sert pas à financer les frais du trajet et devient un revenu.

Jérémie Giniaux-Kats, complète en rappelant que le covoiturage avec un véhicule de fonction doit faire l'objet d'une autorisation explicite de l'employeur. Dans les faits la plateforme Klaxit permet même de spécifier cette caractéristique (5% des utilisateurs chez Klaxit), mais cela reste déclaratif et il y a un "a priori de confiance". De plus, dans le cadre du RGPD, ils ne sont pas autorisés à transférer cette information à l'employeur. Jérémie Giniaux-Kats ajoute qu’en vertu du principe de loyauté, dans le cadre de la preuve de covoiturage, l'usager doit être préalablement informé de la surveillance des données, d’autant plus quand cela peut lui nuire.

Pourtant, comme le rappelle Ghislain Delabie, on ne peut nier les avantages qu'apportent l’usage des véhicules de fonction au covoiturage et pour les passagers. Il permet d'augmenter le matching de l'offre, d’améliorer la qualité du trajet avec des véhicules souvent bien plus récents et l’aspect psychologique de la responsabilité morale des conducteurs envers les passagers les pousse à être plus prudents.

Si le cas de la voiture de fonction peut sembler un peu technique et marginal, il illustre les difficultés que rencontrent le covoiturage pour se diffuser. Entre les problématiques techniques, les gains financiers limités et la contrainte temps, Badr Hijaj conclut que le covoiturage ne pourra pas de toute façon se développer sans incitation financière.

La future Loi d’Orientation sur les Mobilités

Généralement, les règles internes aux entreprises, mais aussi la fiscalité et le cadre juridique n’encouragent pas les mobilités “vertueuses” ou alternatives. Les salariés plutôt pragmatiques, n’ont pas d’intérêt personnel à refuser un avantage comme la voiture de fonction. L’entreprise, elle, bénéficie d’avantages fiscaux et augmentent son attractivité. La future Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM) actuellement en discussion à l’Assemblée et au Senat et qui succédera à la loi LOTI (Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs) de 1982 , peut-elle faire évoluer ce paradigme ?

Une des évolutions proposée par la LOM est d’élargir, le remboursement Transports ( 50% du prix du forfait au minimum) à l’ensemble du territoire. Celui-ci n’est pour l’instant obligatoire que pour les salariés de la région Ile-de-France. Pour le reste de la France, cet avantage reste optionnel et son application dépend du bon vouloir de l’entreprise. D’après les dernières prises de parole d’Elisabeth Borne, la ministre des transports en charge de la LOM, il y a une volonté d’étendre, dans le cadre du Forfait Mobilité Durable, cette obligation à l’ensemble du territoire.

Le cas du forfait mobilité durable

Le futur Forfait Mobilité Durable a du bon mais ne prend toujours pas en considération la réalité de l’intermodalité et de la multimodalité. Dans certaines conditions, un salarié peut aussi bien demander une prise en charge de son forfait transports que de son abonnement à un service de vélos en libre service. En revanche, le nouveau Forfait ne permettra toujours pas de cumuler la prise en charge du coût des différents modes sur un même trajet. Choix quelque peu invraisemblable devant le public majoritairement francilien du petit déjeuner.

L’utilisation des transports en commun au quotidien reste une pratique très minoritaire à l’échelle de l’ensemble du territoire.

Comme le fait remarquer un membre du public, selon une étude récente de l’Insee seule la région parisienne et le Grand Lyon ont un taux d'utilisation des transports en commun au quotidien supérieur à 20% pour les salariés.

Pourtant, l’intermodalité et la multimodalité font bien partie de l’évolution des pratiques.

Les nouvelles offres de mobilité ont ouvert un champ des possibles, là où avant il n’y avait place que pour la monomodalité.

Aujourd’hui, un salarié pour se rendre sur son lieu de travail peut utiliser plusieurs modes sur un même trajet. Grâce au développement des parcs relais, de nombreux automobilistes effectuent désormais une partie de leur trajet aussi en transports en commun. D’autres cumulent vélos et trains, voire mettent leur vélo dans le train quand d’autres encore peuvent être auto solistes un jour et covoitureurs un autre. Leur mobilité s’adapte dans l’espace et dans le temps.

Encourager les nouvelles mobilités !

C’est aussi faire évoluer le code du travail, l’adapter pour mieux prendre en compte les modes de déplacements et la situation du lieu de travail.

"Il est nécessaire de proposer des avantages pour compenser la perte de confort" suggère Jérémie Giniaux-Kats.

Une défiscalisation des nouvelles mobilités, à l’instar de celle accordée à la pratique automobile, pourraient être un moyen d'inciter les employeurs à pousser leurs salariés vers ces pratiques.

Elles doivent elles aussi sortir du paradigme de la voiture et cela passe par un changement de posture face à la pratique du vélo par leurs salariés. En effet, il y a un côté rassurant pour l'entreprise à ce que ses salariés se déplacent en voiture. Ils y sont moins fragiles qu'en vélo ou à trottinette. Pourtant, il est nécessaire de rappeler que si le vélo a certes une accidentologie plus élevée, des études récentes démontrent que sa pratique régulière permet à terme de réduire le nombre d’arrêts de travail en ayant un impact positif sur la santé et l'état d'esprit des salariés.

Le cas du véhicule électrique

Dans le cas d’une utilisation professionnelle, que ce soit pour un véhicule de fonction ou de service, il se pose la question de la recharge à domicile. Qui finance la borne ? Où peut-elle être installée ? Qui peut l'utiliser ? Dans quelles conditions ? Et c’est là que les choses deviennent vraiment complexes. En échangeant avec une responsable RH présente dans le public, on découvre qu’aujourd’hui que chaque décision doit être prise au cas par cas. Elles dépendent de nombreux facteurs dont l’entreprise n’a aucunement la maîtrise, comme le type de logement (individuel ou collectif), le statut (propriétaire ou locataire), l’organisation du parking, les relations avec le syndicats de copropriété, etc.

Les nouvelles mobilités complexifient le traitement des déplacements domicile-travail. Elles amènent les entreprises et l’État à se poser de nouvelles questions et à changer leur manière de concevoir la mobilité.

Pour conclure, Jeremie Giniaux-Kats rappelle avec justesse que planifier la mobilité, c'est aussi planifier l'immobilité : télétravail, espaces de travail en dehors des murs de l’entreprise…  tout un champ de réflexion que les entreprises doivent investir pour mettre en place une mobilité adaptée au 21ème siècle.

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Julie Braka
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Paradoxe de la trottinette, les nouvelles mobilités et l’entreprise

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Alors qu’une majorité des salariés se rend encore sur son lieu de travail en voiture, comment les nouvelles mobilités peuvent-elles se diffuser et détrôner l’auto-solisme ?

Comment peuvent-elles être des opportunités pour les entreprises de réduire leurs coûts ou d'améliorer la qualité de vie de leurs salariés ? Quels sont les obstacles à leurs pratiques et pourquoi sont-elles sources d’inquiétudes ? Grâce aux témoignages de Badr Hjiaj de Klaxit et Jérémie Giniaux-Kats, avocat associé au cabinet Metalaw et expert du numérique et du droit social nous avons tâché d’apporter quelques réponses à ces questions brûlantes lors de notre dernier petit-déjeuner avec le Maif Start-Up Club.

Le paradoxe de la trottinette

Ghislain Delabie, spécialiste de l'innovation dans le secteurs des nouvelles mobilités, a initié les échanges en évoquant l'exemple d'une entreprise avec laquelle il a travaillé.

L'entreprise accueillait à l'occasion de la semaine de la mobilité un événement d'une journée au cours duquel ils souhaitaient proposer des démonstrations ludiques de trottinettes électriques pour les participants et les salariés du site. Impossible néanmoins de mettre cela en place, car la pratique de la trottinette était tout bonnement interdite par le règlement intérieur. Le responsable de site a argumenté que, si un incident arrivait, il pourrait en être tenu responsable voire aller en prison selon la gravité des faits. Devant ces risques, cette démonstration n’a jamais eu lieu que ce soit sur le site ou à ses abords.

Cette anecdote quelque peu cocasse a permis de lancer les débats sur l'adaptation des entreprises à un changement de paradigme en terme de mobilité des salariés.

Covoiturage et voiture de fonction

Fortement encouragée par les pouvoirs publics, la pratique du covoiturage notamment sur le trajet domicile-travail est vu comme une manière de pallier de nombreux problèmes de mobilités au quotidien : congestion, pollution, accessibilité, coût, stationnement, accident. Pourtant, cette pratique rencontre encore de nombreux obstacles. Les potentiels usagers qu'ils soient passagers ou conducteurs sont encore marginaux.

Les entreprises bien que sensibilisées aux bénéfices du covoiturage butent encore sur les aspects techniques et juridiques.

Un de ces obstacles est assez bien illustré par un avantage prisé par les salariés : la voiture de fonction La pratique du covoiturage avec ce type de véhicule est plus complexe qu'avec son véhicule personnel. Comme le rappelle Badr Hjiaj, le covoiturage en France est strictement défini par le code des transports et un des critères fondamentaux est l'absence de profit.

Dans le cas d’un covoiturage avec un véhicule de fonction, la question du partage des frais avec le ou les passagers est remis en question par le fait que le conducteur, lui ne participe finalement pas financièrement aux coûts du trajet ni à ceux de l'entretien du véhicule.

Dans cette configuration, la participation que le conducteur touche alors de la part des passagers ne lui sert pas à financer les frais du trajet et devient un revenu.

Jérémie Giniaux-Kats, complète en rappelant que le covoiturage avec un véhicule de fonction doit faire l'objet d'une autorisation explicite de l'employeur. Dans les faits la plateforme Klaxit permet même de spécifier cette caractéristique (5% des utilisateurs chez Klaxit), mais cela reste déclaratif et il y a un "a priori de confiance". De plus, dans le cadre du RGPD, ils ne sont pas autorisés à transférer cette information à l'employeur. Jérémie Giniaux-Kats ajoute qu’en vertu du principe de loyauté, dans le cadre de la preuve de covoiturage, l'usager doit être préalablement informé de la surveillance des données, d’autant plus quand cela peut lui nuire.

Pourtant, comme le rappelle Ghislain Delabie, on ne peut nier les avantages qu'apportent l’usage des véhicules de fonction au covoiturage et pour les passagers. Il permet d'augmenter le matching de l'offre, d’améliorer la qualité du trajet avec des véhicules souvent bien plus récents et l’aspect psychologique de la responsabilité morale des conducteurs envers les passagers les pousse à être plus prudents.

Si le cas de la voiture de fonction peut sembler un peu technique et marginal, il illustre les difficultés que rencontrent le covoiturage pour se diffuser. Entre les problématiques techniques, les gains financiers limités et la contrainte temps, Badr Hijaj conclut que le covoiturage ne pourra pas de toute façon se développer sans incitation financière.

La future Loi d’Orientation sur les Mobilités

Généralement, les règles internes aux entreprises, mais aussi la fiscalité et le cadre juridique n’encouragent pas les mobilités “vertueuses” ou alternatives. Les salariés plutôt pragmatiques, n’ont pas d’intérêt personnel à refuser un avantage comme la voiture de fonction. L’entreprise, elle, bénéficie d’avantages fiscaux et augmentent son attractivité. La future Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM) actuellement en discussion à l’Assemblée et au Senat et qui succédera à la loi LOTI (Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs) de 1982 , peut-elle faire évoluer ce paradigme ?

Une des évolutions proposée par la LOM est d’élargir, le remboursement Transports ( 50% du prix du forfait au minimum) à l’ensemble du territoire. Celui-ci n’est pour l’instant obligatoire que pour les salariés de la région Ile-de-France. Pour le reste de la France, cet avantage reste optionnel et son application dépend du bon vouloir de l’entreprise. D’après les dernières prises de parole d’Elisabeth Borne, la ministre des transports en charge de la LOM, il y a une volonté d’étendre, dans le cadre du Forfait Mobilité Durable, cette obligation à l’ensemble du territoire.

Le cas du forfait mobilité durable

Le futur Forfait Mobilité Durable a du bon mais ne prend toujours pas en considération la réalité de l’intermodalité et de la multimodalité. Dans certaines conditions, un salarié peut aussi bien demander une prise en charge de son forfait transports que de son abonnement à un service de vélos en libre service. En revanche, le nouveau Forfait ne permettra toujours pas de cumuler la prise en charge du coût des différents modes sur un même trajet. Choix quelque peu invraisemblable devant le public majoritairement francilien du petit déjeuner.

L’utilisation des transports en commun au quotidien reste une pratique très minoritaire à l’échelle de l’ensemble du territoire.

Comme le fait remarquer un membre du public, selon une étude récente de l’Insee seule la région parisienne et le Grand Lyon ont un taux d'utilisation des transports en commun au quotidien supérieur à 20% pour les salariés.

Pourtant, l’intermodalité et la multimodalité font bien partie de l’évolution des pratiques.

Les nouvelles offres de mobilité ont ouvert un champ des possibles, là où avant il n’y avait place que pour la monomodalité.

Aujourd’hui, un salarié pour se rendre sur son lieu de travail peut utiliser plusieurs modes sur un même trajet. Grâce au développement des parcs relais, de nombreux automobilistes effectuent désormais une partie de leur trajet aussi en transports en commun. D’autres cumulent vélos et trains, voire mettent leur vélo dans le train quand d’autres encore peuvent être auto solistes un jour et covoitureurs un autre. Leur mobilité s’adapte dans l’espace et dans le temps.

Encourager les nouvelles mobilités !

C’est aussi faire évoluer le code du travail, l’adapter pour mieux prendre en compte les modes de déplacements et la situation du lieu de travail.

"Il est nécessaire de proposer des avantages pour compenser la perte de confort" suggère Jérémie Giniaux-Kats.

Une défiscalisation des nouvelles mobilités, à l’instar de celle accordée à la pratique automobile, pourraient être un moyen d'inciter les employeurs à pousser leurs salariés vers ces pratiques.

Elles doivent elles aussi sortir du paradigme de la voiture et cela passe par un changement de posture face à la pratique du vélo par leurs salariés. En effet, il y a un côté rassurant pour l'entreprise à ce que ses salariés se déplacent en voiture. Ils y sont moins fragiles qu'en vélo ou à trottinette. Pourtant, il est nécessaire de rappeler que si le vélo a certes une accidentologie plus élevée, des études récentes démontrent que sa pratique régulière permet à terme de réduire le nombre d’arrêts de travail en ayant un impact positif sur la santé et l'état d'esprit des salariés.

Le cas du véhicule électrique

Dans le cas d’une utilisation professionnelle, que ce soit pour un véhicule de fonction ou de service, il se pose la question de la recharge à domicile. Qui finance la borne ? Où peut-elle être installée ? Qui peut l'utiliser ? Dans quelles conditions ? Et c’est là que les choses deviennent vraiment complexes. En échangeant avec une responsable RH présente dans le public, on découvre qu’aujourd’hui que chaque décision doit être prise au cas par cas. Elles dépendent de nombreux facteurs dont l’entreprise n’a aucunement la maîtrise, comme le type de logement (individuel ou collectif), le statut (propriétaire ou locataire), l’organisation du parking, les relations avec le syndicats de copropriété, etc.

Les nouvelles mobilités complexifient le traitement des déplacements domicile-travail. Elles amènent les entreprises et l’État à se poser de nouvelles questions et à changer leur manière de concevoir la mobilité.

Pour conclure, Jeremie Giniaux-Kats rappelle avec justesse que planifier la mobilité, c'est aussi planifier l'immobilité : télétravail, espaces de travail en dehors des murs de l’entreprise…  tout un champ de réflexion que les entreprises doivent investir pour mettre en place une mobilité adaptée au 21ème siècle.

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